Détection précoce de la dénutrition chez la personne âgée : proposition clinique basée sur la bio-impédance multifréquence

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Introduction

Le vieillissement de la population représente des défis croissants en santé publique, y compris la détection précoce de la dénutrition chez les personnes âgées. Cette condition, souvent sous-diagnostiquée, a un impact négatif sur la fonctionnalité, la qualité de vie et le pronostic clinique. Les méthodes traditionnelles d’évaluation nutritionnelle, centrées sur l’indice de masse corporelle (IMC), les antécédents médicaux et l’anthropométrie, s’avèrent insuffisantes pour identifier les altérations métaboliques et cellulaires à des stades subcliniques. Dans ce contexte, la bio-impédance multifréquence (BIAmf) émerge comme un outil objectif, reproductible et non invasif qui permet d’évaluer la composition corporelle avec une plus grande précision.

Justification clinique et épidémiologique du dépistage basé sur la BIA

La dénutrition chez les personnes âgées est une condition prévalente et sous-diagnostiquée, avec des implications cliniques allant de la perte de fonctionnalité à l’augmentation de la mortalité. Des études comme ELAN (Correia et al., 2020) ont montré que plus de 30 % des patients hospitalisés en Amérique latine présentent un certain degré de malnutrition, et que ce chiffre peut être encore plus élevé dans les contextes gériatriques. La BIA représente un outil accessible et non invasif pour le dépistage nutritionnel et métabolique chez la personne âgée. Sa capacité à estimer des paramètres tels que la masse maigre, la masse grasse, l’eau corporelle totale et sa distribution intra- et extracellulaire, ainsi que l’angle de phase, permet d’identifier précocement des altérations de la composition corporelle et de l’intégrité cellulaire qui précèdent la manifestation clinique de la dénutrition. De cette façon, la BIA apporte des informations objectives et complémentaires qui orientent la détection précoce du risque nutritionnel, facilitant la prise de décision opportune et l’intégration avec d’autres tests cliniques et de performance physique si nécessaire.

Changements physiologiques liés au vieillissement et leur impact nutritionnel

Au cours du vieillissement, des modifications structurelles et fonctionnelles se produisent, affectant la masse cellulaire active (MCA), la distribution hydrique et la proportion de masse grasse. Ces altérations ne se reflètent pas nécessairement dans le poids corporel ni dans l’IMC, ce qui peut conduire à des diagnostics erronés, notamment dans les cas d’obésité sarcopénique ou de dénutrition masquée. Des études récentes ont démontré que des paramètres tels que l’angle de phase (AP°), l’indice de masse maigre (FFMI), l’indice de masse musculaire squelettique appendiculaire (ASMI) et le rapport d’impédance (RI) offrent une plus grande sensibilité pour détecter le risque nutritionnel chez les personnes âgées (Sánchez-Sánchez et al., 2022 ; Zhang et al., 2023 ; Cederholm et al., 2022).

Limites de l’IMC et nécessité d’indicateurs fonctionnels

L’indice de masse corporelle (IMC), bien qu’utile comme indicateur populationnel, présente de sérieuses limites chez les personnes âgées. Il ne fait pas la distinction entre la masse grasse et la masse musculaire, et ne reflète pas les redistributions hydriques associées au vieillissement ou aux pathologies chroniques. Par exemple, un IMC dans la plage normale peut masquer une perte significative de masse cellulaire active ou une expansion du compartiment extracellulaire, ce qui se traduit par un risque métabolique et fonctionnel accru. À cet égard, l’utilisation d’indicateurs comme l’angle de phase, le rapport d’impédance et le FFMI permet une évaluation plus précise et personnalisée (Norman et al., 2021).

Indicateurs fonctionnels clés en BIAmf

  • Angle de phase (AP°) : Reflète l’intégrité des membranes cellulaires et la quantité de masse cellulaire active. Des valeurs inférieures à 5° chez les hommes et 4,5° chez les femmes de plus de 65 ans sont associées à un risque accru de dénutrition, d’inflammation et de mortalité. Son utilité en tant que prédicteur clinique a été validée dans des cohortes gériatriques (Sánchez-Sánchez et al., 2022).
  • Rapport d’impédance (RI) : Calculé comme z200/z5, il indique une redistribution hydrique et une détérioration cellulaire. Un RI élevé suggère une expansion de l’eau extracellulaire et une perte de masse intracellulaire, étant utile chez les patients atteints de maladies chroniques (Zhang et al., 2023).
  • Masse cellulaire active (MCA) : Représente le compartiment métaboliquement actif. Sa diminution est liée à la sarcopénie et au risque d’incapacité. Des valeurs faibles de FFMI (<15 kg/m2 chez les femmes, <17 kg/m2 chez les hommes) et d’ASMI (<5,5 kg/m2 chez les femmes, <7,0 kg/m2 chez les hommes) sont des indicateurs de risque nutritionnel (Cederholm et al., 2022).
  • Équilibre hydrique : Le rapport AEC/AIC permet d’identifier le stress métabolique et la rétention d’eau. Une augmentation de ce rapport précède l’apparition d’œdèmes cliniques et est associée à la dénutrition (Barazzoni et al., 2021).
  • Protéines corporelles : Les estimations des protéines totales et actives sont corrélées à la fonction immunitaire et au risque métabolique. Leur diminution prédit des complications cliniques indépendamment de l’IMC (Poulia et al., 2023).
  • ASMI (Indice de masse musculaire appendiculaire) : Cet indicateur reflète la quantité de masse musculaire dans les membres, étant essentiel pour le diagnostic de la sarcopénie. Des valeurs inférieures à 7,0 kg/m2 chez les hommes et 5,5 kg/m2 chez les femmes de plus de 65 ans sont associées à un risque accru d’incapacité, de chutes et de perte d’autonomie fonctionnelle. Sa mesure par BIAmf permet une évaluation rapide et reproductible, et doit être considérée conjointement avec le FFMI pour une classification plus précise de l’état nutritionnel (Cederholm et al., 2022 ; Norman et al., 2021).
  • FFMI (Indice de masse maigre) : Le FFMI représente la masse maigre ajustée par la taille, c’est un indicateur direct de la réserve protéique corporelle. Des valeurs inférieures à 17 kg/m2 chez les hommes et 15 kg/m2 chez les femmes de plus de 65 ans sont associées à un risque accru de complications cliniques, d’hospitalisation et de mortalité, même en présence d’un IMC normal. Son utilité a été validée dans des cohortes gériatriques et il est recommandé comme critère diagnostique complémentaire dans les protocoles de dépistage nutritionnel (Cederholm et al., 2022 ; Norman et al., 2021).

Il faut se rappeler que la BIAmf est un outil de détection précoce des risques fonctionnels, et non une méthode diagnostique définitive. Sa valeur réside dans l’identification des altérations subcliniques de la composition corporelle qui précèdent la manifestation clinique de la dénutrition ou de la sarcopénie. Cependant, pour établir un diagnostic formel, elle doit être complétée par d’autres paramètres cliniques, fonctionnels et biochimiques, tels que la force de préhension manuelle, la vitesse de marche, le MNA, le SARC-F, et des marqueurs comme l’albumine, la préalbumine ou la protéine C réactive. L’intégration de ces éléments permet une évaluation nutritionnelle plus complète, alignée sur les guides internationaux comme l’ESPEN et l’EWGSOP2 (Cederholm et al., 2022 ; Barazzoni et al., 2021).

Applicabilité en contextes communautaires et soins primaires

La BIAmf n’est pas seulement utile en milieux hospitaliers ou spécialisés, mais peut être intégrée dans des programmes communautaires de soins aux personnes âgées. Sa portabilité, sa rapidité et son faible coût opérationnel la rendent viable pour les journées de dépistage, les visites à domicile et les centres de soins primaires. De plus, elle permet de générer des bases de données longitudinales qui facilitent le suivi de l’état nutritionnel et l’évaluation de l’impact des interventions. Cette applicabilité communautaire a été validée dans des expériences comme l’étude HELENA en Europe (Poulia et al., 2023), et peut être adaptée aux contextes latino-américains avec des critères de pertinence culturelle et épidémiologique.

Proposition de protocole clinique échelonné pour le dépistage nutritionnel

Phase 1 : Préparation du patient

  • Jeûne léger de 3 heures
  • Pas d’exercice intense au cours des 12 dernières heures
  • Miction préalable
  • Position standardisée selon le fabricant
  • Pas de contact avec des métaux
  • Éviter la mesure en cas d’œdème généralisé ou de cachexie avancée, sauf si l’on évalue exclusivement l’AP° et le RI

Phase 2 : Enregistrement des paramètres

  • Angle de phase (AP°)
  • FFMI et ASMI
  • Rapport AEC/AIC
  • Rapport d’impédance (RI)
  • Contenu minéral osseux et masse sèche sans graisse

Phase 3 : Classification du risque nutritionnel

  • Faible risque : tous les paramètres dans les plages normales
  • Risque modéré : un ou deux paramètres altérés
  • Risque élevé : trois paramètres ou plus altérés

Phase 4 : Orientation et intervention

  • Faible risque : réévaluation dans 6 à 12 mois
  • Risque modéré : intervention éducative et suivi à 3 mois
  • Risque élevé : orientation vers un nutritionniste, évaluation fonctionnelle et suivi mensuel

Phase 5 : Intégration clinique

Les résultats doivent être incorporés au dossier médical et complétés par des échelles validées comme le MNA ou le SARC-F. Cette approche permet une détection précoce, évite le surtraitement et optimise les ressources cliniques.

Perspectives de recherche et normalisation régionale

La mise en œuvre de protocoles basés sur la BIAmf ouvre des opportunités pour la recherche multicentrique sur le vieillissement, la nutrition et la fonctionnalité. La création d’observatoires régionaux comme ObBIA Latam dirigé par la clinique nutritionnelle virtuelle (CNV) pour l’Amérique latine, permettrait de consolider des données normatives, de valider des seuils spécifiques pour les populations latino-américaines et de générer des preuves pour des guides cliniques adaptés. De plus, l’analyse de paramètres tels que le contenu minéral osseux, la masse sèche sans graisse et les protéines actives peut contribuer au développement de nouveaux biomarqueurs nutritionnels ayant une valeur prédictive et thérapeutique.

Conclusions

La BIAmf offre une alternative supérieure à l’IMC pour la détection précoce de la dénutrition chez les personnes âgées. Sa capacité à identifier des altérations fonctionnelles avant qu’elles ne se manifestent cliniquement en fait un outil stratégique dans les soins primaires, la gériatrie et les programmes communautaires. La mise en œuvre d’un protocole standardisé basé sur des paramètres fonctionnels permet d’améliorer le diagnostic, de guider des interventions opportunes et de contribuer à une meilleure qualité de vie de la population gériatrique.

Chez Aminogram, nous nous engageons dans le développement et la fabrication de dispositifs de bio-impédance multifréquence de haute qualité qui sont accessibles aux professionnels du monde entier. Notre mission est de démocratiser l’accès aux technologies avancées, permettant l’intégration d’évaluations fonctionnelles comme celle-ci dans la pratique clinique quotidienne, faisant de la précision, de la prévention et de la nutrition transformatrice une réalité mondiale.

Références

  1. Barazzoni, R., et al. (2021). ESPEN expert statements and practical guidance for nutritional assessment in older individuals. Clinical Nutrition, 40(5), 2952–2966. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2021.04.018
  2. Cederholm, T., et al. (2022). ESPEN guidelines on definitions and terminology of clinical nutrition. Clinical Nutrition, 41(4), 626–644. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2022.02.002
  3. Correia, M. I. T. D., et al. (2020). Prevalence of hospital malnutrition in Latin America: The multicenter ELAN study. Nutrition, 70, 110610. https://doi.org/10.1016/j.nut.2019.110610
  4. Cruz-Jentoft, A. J., et al. (2019). Sarcopenia: Revised European consensus on definition and diagnosis. Age and Ageing, 48(1), 16–31. https://doi.org/10.1093/ageing/afy169
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  7. Norman, K., et al. (2021). Prognostic impact of body cell mass index and phase angle in older patients – A 5-year follow-up. Clinical Nutrition, 40(4), 1698–1705. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2020.07.045
  8. Poulia, K. A., et al. (2023). Total body protein and metabolically active protein estimates by BIA predict adverse outcomes in older adults: Results from the HELENA study. Clinical Nutrition, 42(3), 375–382. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2023.01.014
  9. Sánchez-Sánchez, M. L., et al. (2022). Phase angle as a marker of malnutrition and mortality risk in older adults: A prospective cohort study. Clinical Nutrition ESPEN, 48, 134–140. https://doi.org/10.1016/j.clnesp.2022.02.007
  10. Zhang, F., et al. (2023). Impedance ratio (Z200/Z5) as a novel indicator of fluid distribution and nutritional risk in elderly patients with chronic diseases. Nutrition, 107, 111945. https://doi.org/10.1016/j.nut.2022.111945

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