La recherche, académique ou privé, a pour principal objectif de répondre à des questions scientifiques à l’aide de protocoles standardisés qui impliquent un certain nombre d’outils de mesure. Leur rôle est de générer des données objectives qui sont ensuite utilisées pour répondre aux hypothèses scientifiques posées en amont du protocole et donc, il est nécessaire de connaître 1) les paramètres mesurés par ces outils, 2) avec quelle précision et 3) si ces mesures sont répétables au cours du temps. De plus, il est également possible que des travaux de recherche démontrent et développent des utilisations alternatives de ces outils pour la mesure de d’autres paramètres que ceux prévus initialement.
Dans ce contexte, l’utilisation de la bioimpédancemétrie (BIA) en recherche a progressivement augmenté ces dernières années et, dans ce dossier, nous allons présenter ces utilisations actuelles ainsi que les futures perspectives d’utilisation.
La recherche n’est pas un domaine cloisonné et elle s’inscrit donc dans un champs disciplinaire, où elle est en relation constante avec la pratique courante de terrain à la fois pour y récupérer des informations mais aussi pour y confirmer les réponses scientifiques obtenues. Un postulat qui se vérifie aussi pour la BIA et celle-ci est donc principalement utilisée pour l’évaluation de la composition corporelle dans un contexte clinique1 ou dans un contexte sportif2 pour :
La BIA possède donc des possibilités d’utilisation variées dans un cadre de recherche, ce qui explique son emploi de plus en plus important par rapport à d’autres techniques d’évaluations de la composition corporelle. En effet, il existe un nombre important de ces techniques et celles-ci vont différer par plusieurs paramètres dont le nombre des compartiments corporels évalués, la durée d’évaluation ou encore la commodité pour les sujets. Par exemple, l’estimation de l’eau totale par la dilution au deutérium est très précise cependant celle-ci nécessite un temps de mesure de plusieurs heures, alors que la même évaluation par la BIA sera beaucoup plus courte mais avec une précision moindre. Par conséquent, des chercheurs voulant une mesure la plus précise possible, réalisée en laboratoire dans des conditions contrôlées sur un nombre réduit d’individus choisiront la dilution au deutérium. Alors que pour une étude de terrain impliquant des mesures rapides et/ou sur un nombre important d’individu où avoir une mesure très précise est moins important, la BIA sera plutôt utilisée.
En 2009, dans ce chapitre16, Deurenberg et Roubenoff résumaient le principe, les avantages et les inconvénients de chacune de ces techniques qu’ils ont compilés dans le tableau ci-dessous :
DXA : absorptiométrie biphotoniques à rayons X ; IRM : Imagerie par résonance magnétique : TOBEC : Mesure de la conductivité totale du corps.
Si l’on s’intéresse aux données présentes dans ce tableau, nous pouvons observer que la BIA possède une précision moins élevée que les techniques de référence comme le DEXA ou l’IRM mais elle est l’une des techniques les moins coûteuses, les plus rapides et confortables pour le sujet, la rendant pertinente pour des études de terrain. Elle permet ainsi de pouvoir effectuer des mesures dans des conditions particulières ou sur des populations importantes comme le montre ces deux études réalisées avec le Biody XpertZMII.
La première est une étude réalisée par Wekre et al.17 qui s’est intéressée à l’hydratation de plongeurs au cours d’une intervention en saturation durant lesquelles les plongeurs sont placés dans un environnement fermé hyperbarique, i.e. avec une pression 2 ou 3 fois plus importante que la pression atmosphérique, les amenant à se déshydrater de manière importante. Il est donc nécessaire de contrôler leur hydratation pour maintenir leur capacité physique et psychologique et donc l’objectif de cette étude était de vérifier si les stratégies mises en place durant l’intervention maintenaient une bonne hydratation chez ces plongeurs. Deux méthodes d’évaluation ont été utilisées pour répondre à cette question : la BIA et la densité urinaire, et elles confirment toutes les deux que les plongeurs maintiennent leur taux d’hydratation tout au long de l’intervention. De plus, les résultats montrent que les deux techniques possèdent des performances similaires dans la détermination de ce taux.
La seconde étude a été réalisée par Martinez-Rodriguez et al.18 et s’est intéressée aux effets d’un programme d’intervention nutritionnelle sur 196 étudiant(e)s en premier année à l’université d’Alicante. Cette étude s’est basée sur le constat que le début d’un cursus universitaire était responsable de nombreux changements dans les habitudes alimentaires des étudiant(e)s dont les causes sont un manque d’informations sur la nutrition, un budget limité et/ou un manque de temps et de compétences pour cuisiner. Ces modifications peuvent provoquer une prise de poids importante et également perdurer dans le temps entraînant une éventuelle apparition de pathologies liées aux mode de vies, comme l’obésité, le diabète ou des maladies cardiovasculaires. De plus, les étudiant(e)s inclus(es) dans cette étude étaient inscrit(e)s dans un cursus de nutrition et il a été montré qu’ils étaient exposés à des risques plus élevés de développer des troubles du comportements alimentaires. En effet, ils reçoivent une quantité importante d’informations sur la nutrition, ce qui peut créer une pression sur leur propres comportement alimentaire. Au vu de ces différentes informations, il est donc nécessaire qu’une formation à ces questions soit proposée via des programmes adaptés et l’objectif de cette étude était de donner un programme d’éducation nutritionnelle à ces étudiant(e)s et de mesurer ses effets sur la composition corporelle.
Les étudiant(e)s inclus(es) dans le groupe ayant l’intervention ont suivi plusieurs ateliers sur les régimes alimentaires, le mode de vie et le risque de développer des troubles du comportement alimentaire au cours desquels un « mythe » autour de la nutrition était confronté à des éléments scientifiques. Afin de contrôler les effets de l’intervention, les étudiant(e)s faisaient partie d’un groupe contrôle ont eu des cours complémentaires à ceux qu’ils effectuaient déjà mais dont le sujet n’était pas spécifique. Les résultats montrent que les étudiant(e)s ayant participé(e)s à l’intervention amélioraient leur composition corporelle, notamment par une diminution de leur masse grasse et une augmentation de leur masse musculaire, alors que les étudiant(e)s du groupe contrôle ne présentaient pas de changements sur ces paramètres à la fin du protocole. Par conséquent, ce programme d’éducation nutritionnelle aurait des effets bénéfiques sur les habitudes alimentaires des étudiants, ce qui se traduit par une amélioration de leur composition corporelle.
Comme expliqué précédemment, la BIA est une technique qui permet d’évaluer de la composition corporelle en utilisant des équations prédictives incluant les données biophysiques mesurées par les dispositifs utilisant cette technique. Cependant, plusieurs recherches récentes ont montré que ces données biophysiques étaient également reliées à d’autres paramètres biologiques et donc que la BIA peut évaluer d’autres événements que la composition corporelle.
Actuellement, le paramètre le plus décrit dans la littérature est l’angle de phase qui correspond à une transformation angulaire de la résistance et de la réactance, et dont la valeur à 50 kHz reflète l’état de santé des individus19, ce qui le rend particulièrement intéressant. En effet, plusieurs études ont montré que celui-ci était associé au statut nutritionnel20, aux risques de développer des maladies cardio-vasculaires21 et même à la mortalité22, il constitue donc un outil pertinent de prévention du développement de pathologies chroniques. Cependant, des recherches complémentaires sont nécessaires pour déterminer des seuils précis qui, lorsqu’ils sont dépassés, indiquent un risque de développer une pathologie. De plus, dans de nombreuses maladies, il a été également démontré que l’angle de phase était associé à l’état clinique des patients23-25 et que sa valeur peut être utilisée comme facteur pronostic dans le cancer du sein26, à l’entrée en soin intensif27 ainsi que dans de nombreux autres pathologies19. De la même façon, de plus amples recherches sont nécessaires pour déterminer des valeurs seuils qui peuvent être utilisées pour remplir ces objectifs.
Deux autres paramètres semblent également intéressants pour étudier l’état de santé des individus : le ratio d’impédance (IR), qui est le ratio de l’impédance mesurée à 200 kHz sur l’impédance mesurée à 5 kHz, et la capacitance. L’IR semble être un marqueur d’inflammation puisque celui-ci est corrélé à la CRP, un marqueur sanguin d’inflammation systémique28, et à l’angle de phase, le rendant pertinent pour surveiller le statut nutritionnel29. La capacitance, quant à elle, est une valeur brute obtenue uniquement par les dispositifs de BIA en spectroscopie et elle est donc un paramètre peu étudiée dans la littérature. Cependant, une publication récente s’est intéressée aux liens entre la capacitance et différents événements biologiques, ses principaux résultats montrent que la capacitance puisse être représentative de la capacité d’échange de la membrane cellulaire30. De façon intéressante, il semblerait également que la valeur de la capacitance permette de détecter une insulino-résistance. En effet, les personnes présentant cette dysfonction du métabolisme de l’insuline possèdent des valeurs de capacitance supérieures à 2,67 nF pour les hommes et à 1,65 nF pour les femmes, suggérant que ces valeurs puissent être utilisées comme seuil de détection31. Toutefois, ces résultats restent à être confirmés par de futures études sur des populations différentes et à plus grande échelle.
Enfin, l’utilisation alternative de la BIA qui présente un intérêt est l’étude du muscle squelettique à l’aide de la BIA, également appelée myographie par impédance, en se basant sur la sensibilité de la BIA à l’état de la membrane cellulaire et à l’hydratation. En effet, les événements physiologiques subis par le muscle squelettique ciblent sa membrane, comme les dommages, et/ou la quantité d’eau qu’il contient. D’un point de vue de la BIA, la résistance mesurée est directement reliée à l’hydratation des tissus alors que la réactance est dépendante de l’état de la membrane cellulaire32, donc il est virtuellement possible de pouvoir caractériser le muscle squelettique à l’aide de ces paramètres. En 2015, Bartels et al.33 ont montré, dans trois études de cas, que les données brutes de BIA étaient dépendantes de l’état de contraction du muscle squelettique et de la présence d’une blessure. Avant cette date, Nescolarde et al.34, 35 avait mis en évidence que la résistance et la réactance mesurées par la BIA étaient modifiées localement par une déchirure musculaire, dont le diagnostic a été confirmée par IRM. Plus précisément, la résistance et la réactance du muscle endommagé diminuaient par rapport aux valeurs mesurées dans son équivalent non lésé, ce qui serait expliqué par l’augmentation locale du volume d’eau et par la dégradation de la membrane par la déchirure, respectivement. Bien que ces résultats montrent la relation entre les valeurs de BIA et les dommages musculaires, il n’est actuellement pas possible de quantifier les dommages musculaires uniquement grâce à la BIA, limitant son utilisation de terrain. Enfin en 2021, Cebrian-Ponce et al. 36 ont réalisé une revue systématique de la littérature sur cette question afin de mettre en évidence les possibles utilisations de la myographie par impédance chez des sujets sains. En plus des dommages, les différentes publications sélectionnées montrent :
Ces résultats suggèrent ainsi que la myographie par impédance pourrait permettre d’évaluer localement le muscle squelettique au repos, ce qui serait particulièrement intéressant pour la détection de la sarcopénie mais aussi pour le suivi de pathologies neuromusculaires37 où les outils de mesure actuellement utilisés restent invasifs. De plus, ils suggèrent également que la BIA pourrait être utilisée pour évaluer les modifications musculaires au cours d’un exercice, cependant d’autres recherches sont nécessaires pour vérifier si elle pourrait se substituer aux techniques déjà existantes, comme l’électromyographie de surface.
Dans un contexte de recherche, la principale utilisation de la BIA est l’étude de la composition corporelle dans le but de la caractériser dans des populations particulières, d’étudier les effets d’une intervention sur celle-ci et/ou de caractériser les mécanismes par lesquels un déséquilibre d’un ou plusieurs compartiments corporels peuvent participer à la physiopathologie de certaines maladies chroniques. Toutefois, d’autres utilisations possibles de la BIA émergent consistant à utiliser les données brutes obtenues par BIA dont l’angle de phase, l’IR ou la capacitance qui peuvent être utilisés pour caractériser l’état de santé des individus, ou encore la myographie par impédance pour l’étude localisée du muscle squelettique.