1. Généralités sur le stress oxydatif
Le fonctionnement cellulaire entraîne la production d’espèces chimiques dérivées de l’oxygène appelées espèces réactives de l’oxygène (EOR), qui ont la particularité de réagir avec les différentes structures cellulaires et de les endommager, un processus appelé l’oxydation(1). Le principal site de production au sein des cellules est la mitochondrie (2), la structure cellulaire responsable de la production d’énergie, mais deux enzymes sont également capables de produire des EOR : la xanthine oxydase et la NADPH oxydase(3). Ces dernières possèdent des fonctions importantes au sein du corps humain :
- la xanthine oxydase, ou xanthine oxydoréductase, permet la production de monoxyde d’azote qui est nécessaire au fonctionnement normal des vaisseaux sanguins (4).
- la NADPH oxydase dégrade les bactéries au sein des globules blancs (5) et participe aux adaptations musculaires à l’entraînement en endurance(6).
Afin de limiter les dommages des EORs sur les structures cellulaires, le corps humain possède de nombreuses défenses antioxydantes qui se divisent en systèmes enzymatiques et systèmes non-enzymatiques.
Les systèmes enzymatiques sont composés de trois enzymes : la superoxyde dismutase, la glutathion peroxydase et la catalase, qui transforment les EORs en molécules inoffensives pour l’organisme par une suite de réactions chimiques(7). Deux stimulus permettent une augmentation de ces systèmes : une augmentation de la production chronique des EORs (8) et l’entraînement(9,10).
Cependant, ces systèmes enzymatiques n’ont pas la capacité de prendre en charge toutes les EORs produites par l’organisme(3). Celles-ci sont alors gérées par les systèmes non-enzymatiques, principalement les vitamines C et E(11,12), qui vont réagir avec les EORs et éviter que celles-ci réagissent avec les autres molécules biologiques. Contrairement aux systèmes enzymatiques qui sont capables d’augmenter en réponse à une augmentation de la production d’EORs, les systèmes non-enzymatiques ne peuvent augmenter que par un apport alimentaire plus élevé et/ou une supplémentation par des compléments.
Ainsi, les systèmes pro-oxydants et antioxydants fonctionnent conjointement pour produire et maintenir une concentration en EORs permettant d’assurer un fonctionnement cellulaire normal. Un déséquilibre de cette balance entraîne un stress oxydatif dans laquelle les EORs endommagent progressivement les cellules. Plus précisément, le stress oxydatif se définit comme une situation dans laquelle la concentration en EORs est augmentée de façon transitoire ou chronique perturbant le métabolisme cellulaire, sa régulation et endommageant les différents composants cellulaires(13)v. Les causes de ce stress oxydatif sont multiples : 1) une augmentation de la production en EORs, 2) une déplétion des réserves en antioxydants non-enzymatiques, 3) une inactivation des enzymes antioxydantes, 4) une baisse de la production des systèmes antioxydants enzymatiques et non-enzymatiques et 5) enfin une combinaison d’au moins deux de ces altérations(3).
2. Le stress oxydatif dans les pathologies chroniques
Le stress oxydatif participe à la physiopathologie de nombreuses pathologies chroniques(14). En effet, les altérations physiologiques de ces maladies favorisent un stress oxydant qui va endommager les différentes structures cellulaires et donc contribuer fortement à leur physiopathologie. De plus, le vieillissement est également associé à un stress oxydant élevé qui participe activement aux modifications physiologiques observées chez les personnes âgées(15).
D’un point de vue mécanistique, le stress oxydatif contribue à la physiopathologie du vieillissement et de nombreuses pathologies chroniques de plusieurs façons :
- Les dommages oxydatifs sur les différentes structures cellulaires provoquent l’activation de mécanismes de sénescence et de mort programmée (= apoptose) des cellules formant les organes. Cela entraîne une perturbation de la fonction cellulaire, voire une mort de celle-ci, ayant pour conséquence une altération de la fonction des organes.
De plus, l’activation de ces mécanismes entraîne également une sécrétion importante de molécules pro-inflammatoires, favorisant une inflammation de bas grade qui contribue à la dégradation de l’état de santé. - Les EORs produites réagissent avec des molécules impliquées dans le fonctionnement physiologique normale, perturbant ces processus physiologiques.
Afin d’illustrer, nous pouvons donner quelques exemples observées dans plusieurs conditions pathologiques.
Un premier exemple est la contribution du stress oxydatif dans l’apparition progressive de la sarcopénie via l’activation des systèmes de dégradation protéique au niveau musculaire. En effet, les EORs vont activer une molécule appelée NF-κB qui est elle-même responsable d’une suite de réaction chimique se terminant par l‘activation de deux molécules appelées MAFbx et MurF-1(16,17). Au sein de la cellule, ces deux molécules ont pour rôle de dégrader les protéines dysfonctionnelles pour maintenir un fonctionnement cellulaire normal, et leur activation entraîne une dégradation accrue des protéines musculaires et donc la diminution de la masse musculaire squelettique. En plus de la sarcopénie, ce mécanisme est également responsable de la diminution de la masse musculaire observée dans de nombreuses pathologies chroniques dont le cancer(18), la BPCO(19) et l’insuffisance cardiaque (20).
Le stress oxydatif est également fortement impliqué dans la physiopathologie du diabète de type II (T2D) notamment dans la dysfonction des cellules β, qui sont responsables de la production d’insuline, et dans la capacité des muscles à absorber le glucose(21). Plus précisément, l’hyperglycémie présente dans le T2D favorise la production d’EORs au niveau systémique mais aussi dans les cellules β, activant les mécanismes d’apoptose. Cela entraîne une dysfonction voire une mort des cellules β et une production altérée d’insuline, favorisant ainsi l’hyperglycémie. De plus, au niveau musculaire, le stress oxydatif limite également la production et l’expression de GLUT-4, une molécule dont le rôle est de faire entrer le glucose dans le muscle. Dans un fonctionnement physiologique normal, la production de GLUT-4 est activée par la fixation de l’insuline sur le muscle afin que ce dernier prélève plus de glucose sanguin et diminue la glycémie. Ainsi, en présence d’un stress oxydatif chronique, la capacité du muscle squelettique à prélever du glucose sanguin est fortement diminuée favorisant également une hyperglycémie. En conclusion, le stress oxydatif va fortement limiter la capacité de l’organisme à contrôler la glycémie et donc favoriser une hyperglycémie, le principal événement physiopathologique dans le T2D.
Au vu de ces différentes données, il semble nécessaire de suivre et quantifier le stress oxydatif au cours du temps afin d’éviter ses effets délétères.
3. La mesure du stress oxydatif
Les EORs sont des molécules qui réagissent extrêmement rapidement avec les autres molécules du corps humain, il n’est donc pas possible de doser directement les EORs comme cela peut être fait lors de dosages sanguins. Cependant, il est possible d’évaluer des marqueurs indirects du stress oxydatif que ce soit au niveau sanguin mais aussi dans les différents tissus, s’il est possible de faire un prélèvement. Ces marqueurs indirects sont multiples :
- L’activité des enzymes pro- et antioxydantes décrites précédemment qui peut indiquer la capacité à produire et à se protéger des EORs, respectivement.
- La concentration des systèmes antioxydants non-enzymatiques, qui donne également une indication de la capacité de l’organisme à se protéger des EORs.
- La concentration des molécules produites par l’oxydation de l’ADN, des lipides, des glucides et des protéines qui permettent d’estimer la quantité d’EORs non prise en charge par les systèmes antioxydants. Ainsi, plus la concentration de ces molécules est importante et plus le stress oxydatif est important.
Même si l’étude de ces marqueurs permet d’estimer le stress oxydatif par une étude de la balance pro/antioxydants, il est nécessaire de mesurer un maximum de ces marqueurs pour obtenir une évaluation précise. Cependant, cette méthode nécessite des dosages spécifiques à chaque marqueur ainsi qu’un temps d’analyse qui peut limiter son utilisation dans la pratique courante. Certains laboratoires proposent de réaliser ces bilans cependant ceux-ci ne sont pas remboursés ce qui limite également le suivi du stress oxydatif au cours du temps. Il est donc nécessaire d’avoir des méthodes de mesures et/ou des marqueurs permettant un suivi chronique du stress oxydatif.
4. Prise en charge du stress oxydatif
La prise en charge du stress oxydatif a essentiellement pour objectif d’augmenter les systèmes antioxydants, car il est plus facile de moduler les systèmes antioxydants que les systèmes pro-oxydants. Cela permet ainsi de pouvoir compenser pour la production accrue d’EORs et/ou pour la diminution des systèmes anti-oxydants. Deux moyens principaux peuvent être utilisés pour augmenter les défenses antioxydantes : l’activité physique et la nutrition.
En plus de ces nombreux effets bénéfiques, l’activité physique augmente les systèmes antioxydants enzymatiques au niveau systémique(10,22) et au niveau musculaire(23) permettant ainsi une meilleure prise en charge des EORs par l’organisme. Cependant, l’activité physique regroupe un nombre important d’activités allant de la simple marche à un exercice plus intense en endurance ou des exercices en résistance, i.e. la musculation. Dans une méta-analyse, de Sousa et al.(22) ont compilé 19 études ayant mesuré les effets de différentes modalités d’exercice (tai chi/Pilates, endurance et musculation) sur les systèmes antioxydants enzymatiques et ils ont montré que les activités type Tai Chi/Pilates ainsi que les exercices d’endurance permettaient d’augmenter fortement ces systèmes. A l’inverse, les exercices de musculation ne permettaient pas une augmentation de ces systèmes. Ainsi, dans un objectif d’augmenter les systèmes antioxydants enzymatiques, il est pertinent de proposer des activités physiques modérées en endurance ou des activités similaires à du Tai Chi et/ou du Pilates.
Comme évoqué précédemment, les systèmes antioxydants non enzymatiques sont des molécules qui ne sont pas produites par l’organisme et qui doivent être apportées par l’alimentation. Il existe un grand nombre de molécules qui sont capables de réagir avec des EORs et d’avoir une activité antioxydante au sein des différents aliments, dont les deux principales sont la vitamine C(11) et la vitamine E(24). Par conséquent, il peut être intéressant de favoriser des aliments riches en ces deux vitamines, et/ou d’autres antioxydants, chez des personnes présentant des pathologies chroniques caractérisées par une limitation de la capacité à l’exercice et/ou par une diminution des systèmes antioxydants enzymatiques.
Cependant chez des sportifs, particulièrement en endurance, les systèmes antioxydants enzymatiques sont très développés et, bien que les systèmes non-enzymatiques restent indispensables, il faut faire attention à ce qu’ils ne soient pas trop élevés. En effet, un stress oxydatif transitoire est nécessaire pour les adaptations liées à l’entraînement (6,23) et une supplémentation trop importante pourrait donc limiter ce stress transitoire et ces adaptations.
Conclusion
Le stress oxydatif est un phénomène chimique responsable de la dégradation de nombreuses molécules biologiques et qui est impliqué dans la physiopathologie de nombreuses pathologies chroniques et dans le vieillissement. Bien qu’il soit difficile à mesurer actuellement dans une pratique courante, il reste possible de le limiter par une activité physique et une nutrition adaptée.
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